C'est donc par un soleil de plomb et l'incroyable spectacle des sommets enneiges culminants a quelques 6000m que nous arpentons d'un pas leger, bien que vite essoufle, le dedale de rue de Leh. Guides par Mathew, un sympathique Australien que nous avions rencontre la veille et qui deviendra notre fidele et premier compagnon de route, nous visitons, en profanes assoiffes de connaissances, les multiples gompas perches sur les falaises de la ville. Ces monasteres bouddhiques semblent receler une infinie sagesse a laquelle nous initie Mathew qui en suit les enseignements depuis qu
elques mois. Mais Leh, qui nous etait apparue si accueillante et sereine, se revelera vie ettouffante. Comme nous le confirmera une semaine plus tard le reportage ''Ancient Futures - Learnings from Ladakh'' de Helene Norberg-Hodge (tire du livre homonyme dont je conseil la lecture a tous les curieux qui s'interessent aux 'dommages collateraux' de notre soit disant 'developpement et croissance'), Leh stigmatise toutes les derives du developpement a l'occidentale. Longtemps isole et repondant aux besoins tant materiels et physiques que spirituels et psychologiques de sa population, le Ladakh commence effectivement a se moderniser dans les annees 70. Afflux de touristes peu eduques au respect des cultures ancestrales, monetarisation d'une economie jusqu'alors fondee sur la cooperation dans de petites communautes, devaloriation d'un mode de vie equilibre par un occident etouffant, exclusif et pretentieux dans l'affirmation de sa superiorite... Il se passe ici en 30 ans ce qui, chez nous, s'est mis en place en deux siecles de revolution agricole et industrielle. Mais au final les effets sont les memes: destruction du lien social et humain au profit d'un emploi salarie economiquement plus valorise, d'ou exode rural et destruction de l'equilibre entre les ressources naturelles fournies par la terre (nourriture, materiel de contruction des habitats, eau potable...) et besoins des communautes travaillant cette terre, pourtant si hostile au pre;ier abord (ici la neige gele les terres 6 mois par an: tout le travail doit etre fait les 6 autres mois). Les consequences sociales et environnementales risquent d'etre desastreuses... si rien n'est fait... Leh, village prospere il y a encore 30 ans, n'est deja plus capable de se nourrir, et doit importer de plus en plus de produits manufactures, de nourriture produite et emballee a des milliers de kilometres puis achemines par camions. S'ensuivent accumulation des dechets dans la nature, pollution, et mise en danger des producteurs locaux dans les villages, incapables de rivaliser avec les produits sur-subventionnes des grandes firmes.
Ces problematiques de developpement, contre lesquelles se mobilisent quelques trop rares associations a objectif durable, comme le courageux Women's Alliance of Ladakh, ont pour nous un triste et amer gouut de deja-vu... mele de culpabilite. Comme chez nous, les pays dits 'developpes', les memes causes ont eu les memes effets... mais a un rythme tellement plus eleve qu' il n est plus possible de nier l'evidence de lien de cause a effet. La culture Ladakhie, presentee comme sous developpee s'effrite peu a peu, laissant place a l'individualisme et a la discorde. Les anciens se rappellent: les gens etaient plus souriants et chaleureux, heureux, avant l'arrivee du 'modernisme'.
Ce constat, nous le ferons nous meme en quittqnt Leh au profit de 6 jours de trek dans les montagnes. 6 jours dans l'Hymalaya entre 3000m et 4000m! Un reve longtemps entretenu que nous allons enfin caresser! Au revoir Leh, humains, gazs d'echappement etouffants, dechets, rivieres poubelles, beton... on prend la route inverse de tous le sjeunes Ladakhis attires commes des mouches par la societe de consommation que nous fuyions; exode urbain, c'est vers le monde rural une fois de plus que nous allons chercher sagesse et reponses.
"No pain, no game", les premiers kilometres sont tres douloureux: la chaleur est etouffante, le soleil accablant dans cet immense desert, et l'oxygene nous manque a cette altitude... mais les hauteurs nous aspirent a elles. Nous le savons, chaque nouvelle montagne cache des merveilles qu'il nous faut decouvrir, peu importe l'effort! Havre de Paix et de Generosite, chaque nouvelle etape nus fait oublier en un instant les souffrance de la marche. Les souffrances se font d'ailleurs de moins en moins sentir: quel bonheur d'etre jeune et de pouvoir s'adapter ausse vite! Dans tous les villages que nous trqversons, la chaleur de l'accueil nous fait decouvrir un peu plus les bienfaits de cette culture Ladakhie, la vraie, l'originale, l'ancestrale culture des peuples des montagnes hymalayennes. Le lien social, la chaleur humaine, la cooperation sont ici des comportements naturels dictes par une environnement hostile autant que pa l'influence spirituelle du bouddhisme tibetain. Pendant 6 jours, nous partageons mdi et soir le toit et le repas des familles: un matin nous aidons aux champs la recolte des pommes de terre, en compagnie des femmes et des buffles qui labourent le champs; un autre soir je m'amuse avec une gamine de 6 ans alors que sa mere prepare le diner; un autre j'aide a la cuisine pour mon plus grand bonheur. Autant de moments vrais, simples, innoubliables, comme ces sourires qui ont jalonne notre route, de Likir a Sumdo, de Yamgthang a Hemis pouis a Ang.
Et toujours ces paysages aussi captivants que difficiles a partager au travers de mots. Ici la vie est rythmee par la Terre, et donc par le soleil. Pas de grasse matinee qui tienne, nous profitons de chaque rayon de soleil: de l'aube au crepuscule, a chaque heure sa lumiere, et a chaque lumiere son lot d'emerveillement: fraiches brumes matinales, chaleur desertique au zenith, flamboiement crepusculaire... c'est naturellement dans un silenmce de circonstance que nous admirons enfin la lune prendre le relai du soleil pour eclairer ces geants de la scene qui ne semble jamais connaitre d'entracte. Les etoiles sont la aussi, et la Grande Ours accompagne Cassiope pour nous rappeler que nous sommes bien sur Terre. "La beate sauvera le monde"!